En ce jour de la commémoration du 32e anniversaire de la catastrophe de Furiani, retrouvez le témoignage émouvant d'une personne qui est tombée de la tribune provisoire, en ce triste jour du 5 mai 1992. Un article que nous avions publié initialement en 2014.

Catastrophe de Furiani | Photo : Getty Images

"On est le 5 mai 1992... Il est 15h...

Je suis en train de donner un cours de squash à l'Orange bleue à Ville-di-Pietrabugno. Quelqu'un tape à la vitre, c'est mon ami Pierrot Bianconi, capitaine du SC Bastia, qui me dit :
« Désolé Pierrot, je n'ai pu venir que maintenant. Tiens, je t'ai apporté une invitation en tribune Sud (de l'époque)...
- Merci beaucoup, c'est gentil fratè, je t'embrasse pas, je transpire... On se voit demain, après le match... Tchao, basgi ».

Le lendemain, jour de match, beaucoup de monde. Je suis tout seul, devant la porte d'entrée de la tribune Ouest (où entrent les invitations), pour voir si je rencontre un ami. Et là, c'est tout le club de squash qui débarque, Charles Vittini en tête, on s'embrasse.
« Tu es à quelle tribune ?
- La Sud, pourquoi ?
- Viens avec nous en Nord, on va mettre le feu, tous ensemble... »

Et me voilà aux guichets, demandant qui veut bien échanger sa place en Nord contre la mienne... Ca y est, un monsieur sympa est ok (s'il s'en rappelle, il doit encore me bénir). Et nous voilà partis, sous la tribune, où des ouvriers s'affairent à donner le dernier coup de tournevis, le dernier coup de marteau. Et on monte, on monte tout à fait en haut... On domine, c'est le pied !

Tout le stade est « bleu et blanc », les chants fusent des quatre coins, des quatre tribunes... Nous, on est prêts, casquettes, écharpes, drapeaux... Et qui on est ?! Les joueurs sortent pour l'échauffement et là... c'est la folie. Des milliers de drapeaux, des « ALLEZ LES BLEUS ! ». Les joueurs ne courent pas, ils volent ! Dans leur coin, les joueurs de l’OM sont surpris et craintifs... c'est impressionnant !

Bientôt le début de la rencontre. Le speaker n'arrête pas de répéter : « arrêtez de taper des pieds ». Mais on ne commande pas au peuple corse. Qui peut « arrêter » les supporters des Bleus en direction de la grande finale... Il y a des rires, des chants, de la joie, du bonh... Et là, la tribune cède sous nos pieds...

La chute a duré... pour moi, elle a duré 1h... Horrible la douleur, horrible le cri... Je suis conscient au milieu de la ferraille, je cris : « aidez-moi ! ». Une main prend la mienne. « Pierrot, dis-moi ce que tu as », je reconnais Alain Bartolotti le pompier, un ami. Il appelle d'autres pompiers, arrache un panneau de pub, m'allonge dessus pour me mener sur la pelouse. J'ai mal partout, mon ventre est énorme, je ne sens plus mes jambes. J'ai peur, je pleure... Allongé sur le terrain, une dame me pose une perfusion. J'ai froid, je tremble... Jacques Zimako m’aperçoit :
« Putain, Pierrot...
- Jacques s'il te plait, appelle vite ma femme... Merci ».

Pascal Olmeta vient à mon chevet :
« Pascal, j'ai froid...
- Attends O Pé, je vais te chercher ma parka ».

On me conduit dans l’hélicoptère, direction l'aéroport... Là-bas, des centaines de gens qui pleurent, qui crient, du sang partout... On me met dans l'avion, direction Marseille. A l'arrivée, des dizaines d'ambulances et de motards sont là. Tout est bloqué, un flic à chaque carrefour. L'ambulance file vers la clinique Sainte-Marguerite. Là, 3 personnes me prennent en charge. Radios, bilan complet... résultats : multiples fractures au coude droit, la rate, 5 côtes, les 2 genoux en vrac, traumatisme crânien...!

Après bien des années, je me rends compte que j'ai frôlé la mort... Pendant 6 mois et malgré le Lexomil, je me retrouvais assis sur mon lit, à revivre la chute... Le genou droit bloqué, on m'a scié le tibia pour redresser la jambe, afin que je puisse encore la plier...

Les mois de fauteuil roulant sont gravés... Tous ces instants sont à jamais gravés dans ma mémoire... Mais je bénis le ciel, je suis encore parmi les miens... D'autres sont tombés et sont morts sur ce stade de football....

Demain, j'irai me recueillir sur la stèle et pleurer mes amis disparus...
PLUS DE MATCHS LE 5 MAI... SIMPLEMENT « LE RESPECT »

 

Pierrot Garcia"